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Je suis parti de substack.
Quatre mois plus tard, je réémerge.
C’est la faute des nazis.
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Celleux qui savent, savent, pour les autres je ferai ça bref.
En novembre, the atlantic a rapporté qu’un certain nombre d’infolettres sur substack faisaient la promotion du suprémacisme blanc, de l’antisémitisme, ou juste carrément l’apologie du régime nazi. Des substackers proéminents se sont ligués pour demander leur retrait. Un dirigeant de substack a répondu qu’il regrettait que ces idées circulent mais qu’il n’entendait pas les bannir de sa plateforme.
La foire a pogné. À partir de ce moment, absolument tout le monde a donné son opinion sur le sujet. J’ai tout lu, jusqu’à ce que je me tanne.
Au final, la poussière retombée, pas grand chose n’a changé : les personnes qui ont quitté avaient un avantage financier à le faire, payant ailleurs un montant fixe bien inférieur aux 10% de cote que se pend substack sur leurs abonnements. Les autres sont juste écoeurés de promener leur baluchon de plateforme en plateforme à chaque fois qu’un tech bro se révèle complice de génocide ou juste ben chill avec les fascistes.
Je suis resté entre les deux. J’ai pas déchiré ma chemise sur la place publique, mais je n’ose plus interagir avec la plateforme. Je reste abonné aux meilleures infolettres, mais même donner des likes me semble inconvenant. Anyway, je publie quelque chose aux trois mois. C’est à peu près le temps que ça me laisse pour me virer de bord. De toute façon, substack me gossait déjà, pour deux raisons.
D’une part, substack a investi le champ le plus improbable sur internet présentement, l’écrit. La mode de l’infolettre honnêtement était inespérée à l’ère du vidéo tiktok, mais ça reste assez niché. Pour l’instant, ils calent de l’argent en donnant un très bon service gratuitement, mais un jour ils devront presser le citron pour faire sortir le jus. Après un an à lire sur l’enshittification, je suis plus réticent à m’investir sur une plateforme.
D’autre part… hostie que c’est laitte.
Qui veut un site web qui ressemble à ça ?
Évidemment, c’est pas pensé comme un site web, plus comme un agrégateur de contenu. C’est pas fait pour être beau, mais efficace, lisse et lisible, parce que le contenu se consomme vite, l’infolettre est de toute façon aussi éphémère que les journaux qu’elle remplace, à peu près personne ne va venir fouiller dans les archives, et personne ne va remarquer que c’est laitte parce qu’aujourd’hui toutte est laitte pis corpo anyway.
Aussi, la traduction est automatisée, alors ça donne des affaires de même.
J’ai-tu dit « contenu » ? Ça m’est apparu assez tardivement, mais j’étais, sur substack, un créateur de contenu. J’ai fait comme tout le monde, j’ai passé les dix dernières années sur des plateformes aux petites boîtes à remplir de texte et d’images et de vidéos, et la plateforme se charge toute seule de trouver une audience et au bout du compte tu finis avec des abonnés et des suiveux et des views et des likes et des coeurs et tu penses que t’es populaire mais tout ce que tu as fait c’est nourrir la plateforme et remplir le vide.
Je ne suis pas un très bon remplisseur.
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Mes troubles ont commencé quand j’ai voulu mon site internet.
Une maison. Plus un campe en fait, je laisse ça là et j’y reviens quand ça me tente. Où j’empile mes bebelles et mes archives. J’ai une collection de vieux journaux qui puent. Ça vaut peut-être pas grand chose mais c’est à moi. Quelque part au gré des pérégrinations de plateforme en plateforme, on a beaucoup perdu de soi-même, j’étais dû pour me rebâtir et repartir le foyer, comme dirait substack.
Great god, c’était quand la dernière fois que j’ai eu un site internet ?
Est-ce que les gens font encore ça ?
Entk, j’ai déjà su comment faire. Au tournant du siècle, j’ai appris les bases du html, du css, du ftp, mais ça n’a pas été long que de bienvenus outils d’édition sont venus nous simplifier la vie. Certains sont encore là, d’autres sont apparus pour remplacer ceux qui sont morts, mais le choix est quand même limité, et pour faire une histoire courte, j’ai fini sur le choix que j’essayais d’éviter, motherfucking wordpress.
J’ai pleuré du sable et mangé des racines, comme disait le poète. C’est un épouvantable spaghetti qui semble destiné à t’empêcher de faire ce que tu voulais faire après t’avoir fait miroiter le contraire – et chargé au préalable, alors tu t’enfonces dans l’erreur parce que rendu là t’as trop investi pour abandonner, et si vous lisez ceci sur mon site, c’est juste à force de hacks et de moyens détournés.
Putain, ce que je me suis fait chié.
Mais ce qui m’a tué, c’est les templates, les gabarits modèles sur lesquels tu vas bâtir ton site. Ils sont tous laittes pis corpos. On prend pour acquis que le créateur de site est par défaut un petit commerce qui veut vendre des bébelles, afficher des témoignages de clients satisfaits, mettre de l’avant des slogans creux et son compte twitter…
…sur tous les esties de templates il y a des icônes de réseaux sociaux laittes pis corpo, comme si je voulais étamper ton brand sur mes affaires personnelles, et il y a systématiquement l’oiseau de twitter parce qu’ils sont tous légèrement outdated, tsé les gens qui font la joke « moi j’appellerai jamais ça X », ben sur wordpress c’est pareil, c’est juste que c’est pas une joke.
Je veux dire, c’est des pages et des pages d’affaires de même.
Aussi, à l’intérieur des templates, il y a des layouts et tu peux choisir entre différentes catégories :
L’idée qu’internet existe pour diffuser et partager des connaissances, ou juste communiquer avec des gens, semble complètement obsolète. Je lis beaucoup de choses sur la déliquescence du web ces temps-ci, des réseaux sociaux qui pourrissent jusqu’au blob de l’intelligence artificielle, mais faire un site m’a rappelé l’étape fondamentale du développement du réseau où il est devenu un gros centre commercial.
Ça ne s’est pas amélioré quand j’ai quitté substack pour beehiiv, the newsletter platform built for growth, me donnant everything you need to succeed, au cas où je voudrais partir the nest iconic media brand que je pourrais monetize like you have a full sales and revenue teams, en gras c’est le champ lexical du non-poème d’aujourd’hui, bref beehiiv c’est corpo au moins sont pas nazis, même s’il y a quelque chose de nazi dans le fait que toutte est corpo.
Après j’ai voulu me créer une adresse courriel pour que, tsé, le monde puisse m’écrire, et en attendant de valider info@1924.ca, j’ai créé une adresse gmail, et j’avais le choix entre une adresse personnelle ou une « pour mon travail ou mon entreprise », alors j’ai pensé dans ma tête « pour mon travail, mettons », mais apparemment l’un est l’autre puisqu’à la page suivante on me demandait si je vendais en ligne ou dans le monde réel, et à l’autre d’après, je commençais à perdre patience et m’écarter du droit chemin.
Après j’ai voulu intégrer des stats avec un plugin sur wordpress – je m’enfonce – qui me promettait de convertir mes visites en engagement, parce que les gens qui visitent mon site sont forcément des consommateurs qu’il faut pister jusqu’au panier de sortie, voilà la relation qui nous unit, et il fallait lier le pugin avec un compte google analytics, et après trois clics j’étais rendu là
Toutte est corpo parce que toutte est corpo, c’est devenu notre manière d’être au monde, t’as rien à faire sur internet si t’as pas quelque chose à vendre, que ce soit des bebelles ou toi-même, t’existes sur internet pour développer une audience pour faire de l’argent, now the goal is to sell out, c’est comme dans les années 60 mais le contraire, je ne sais plus où crier que je n’ai rien à vendre et que je suis en ligne juste parce que j’aime les lettres et les images et parler à du monde.
Toutte est laitte parce que tout le monde est sur son téléphone, que les sites sont optimisés pour que ça aille vite, la logique est la même pour l’écriture sinon pire parce que t’es en compétition contre les vidéos courts, toutte est m.i.n.i.m.a.l.i.s.t.e – c’est à dire sans âme et sans imagination, sans fun et sans goût, quand tu vends ta maison ils suggèrent de la dépersonnaliser pour que n’importe qui puisse se projeter dedans et c’est totalement le concept de base de ces templates.
Et je rêve d’un web baroque et maximaliste, mais je suis pas graphiste alors j’ai tout scrappé le template jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien qui ressemble à un vendeur de brosse itinérant perdu dans le labyrinthe électronique, j’ai dépersonnalisé la dépersonnalisation, et j’en ai fait mon campe sur internet, avec mes bibelots pis mes vieux journaux qui puent, le site est peut-être encore laitte mais au moins il est pas corpo.
Me reste juste à partir le feu avec mes vieux journaux.
Je viendrai remettre des bûches de temps à autre.